Une Robert Wyatt trentenaire, féminine et française, est-ce possible ? On peut se poser la question en écoutant le premier disque d’une nouvelle venue qui a quelques moyens : Peau. Certes, cet album n’est qu’une ébauche, mais il contient en germe toutes les contradictions qui pourront (peut-être) faire sortir Peau du succès d’estime – ou lui faire élire résidence en ce purgatoire artistique.
D’abord, son auditeur doit mériter ce disque. Il commence par « Première Mue » (le morceau), une chanson hypnotique au texte abstrait, délicat montage électro basse batterie avec voix blanche, qui séduit dès la seconde écoute, pour devenir ensuite un des meilleurs moments du disque.
Il faut cependant attendre le troisième titre, « Enola Gay », pour trouver du rentre-dedans un peu sérieux : le rock fait irruption avec ce titre en anglais, qui est sans doute promis à une belle carrière sur les radios indépendantes. Suivent immédiatement « Weather », jolie ballade guitare-voix agréablement murmurée, façon Jane Birkin – et, surtout, « An Apple A Day », petit miracle, comme si Moby avait composé un titre pour (one more time) Birkin. Le côté un peu trop intimiste et délicat de la majeure partie de l’album s’efface ici devant une grande efficacité mélodique et rythmique, et c’est tant mieux.
Le problème est en effet que, dans les morceaux en français, l’intimisme de Peau semble contraint aux chemins difficiles. C’est beau, mais il faut s’accrocher… Ainsi, quand on écoute « Litanie » ou « Guerre longue », une question taraude l’esprit : Peau ressent-elle (comme le Bashung de Novice ou de Fantaisie Militaire) la nécessité de se faire distinguer par ses compatriotes comme un Auteur Compositeur Interprète majeur ? Il y a des façons plus simples de le faire percevoir… Au cinéma, Alain Resnais, qui pourrait être l’une des références intellectuelles de Peau, a su réaliser aussi bien Hiroshima mon amour en 1959 que Smoking/ No smoking en 1993… La simplicité vient avec l’expérience…
Ce que semble annoncer « Une Petite Pluie ». Peut-être Peau résout-elle avec ce titre ses contradictions : sur une rythmique de jazz progressif, elle pose des mots français enfin agréables à suivre. Sans doute le meilleur moment de l’album : une douce machine… Ecoutons pour finir « Breathe ». Encore une fois, c’est un titre en anglais qui expérimente la rupture : après trois minutes très fragiles, voix légère, électro discrète, arrive un tonnerre électrique digne de Placebo… Osons un conseil à Perrine Faillet (le nom de Peau à la ville) : qu’elle écoute plus Brian Molko que Björk…